Demain 11 novembre, remettons-nous en mémoire la chanson de Craonne, en camping-car

C’est une drôle d’année que nous vivons. Entre Covid et confinement, peur et protection, stupeur et vigilance. Le Coronavirus nous remémore aussi que les poilus de la Grande Guerre dont nous célébrerons l'armistice, demain 11 novembre, furent aussi victimes, en plus des balles, des obus et des gaz, de la terrible grippe espagnole.

Sans cesse rattrapé par son ombre, voilà que même le voyageur en camping-car hésite. Et s’il ne renonce pas tout à fait, vous ne voudriez quand même pas qu’il recule ? Il lui faut inévitablement s’adapter, contourner, pour avancer… masqué.

En ces temps où il convient d’éviter les grands rassemblements et les zones surpeuplées, quelques semaines avant de se retrouver reconfinés, Aurélie, le fidèle GPS du GéOptimiste, le dirigea, sans le savoir, sur une route de la mémoire, un sentier d’émotion, une impasse de l’humanité.

Avec la naïveté qui convenait, le chemin choisi nous avait conduits dans l’apparente quiétude ombragée d’une forêt domaniale. Plantée de chênes, de hêtres, de frênes, et gérée par l'Office national des Forêts, elle s’étend sur plus de 1 000 ha. Pins noirs, sylvestres et épicéas exhalent une odeur rafraîchissante. Un lieu qui “aujourd’hui”, pirouette de l’oubli, est devenu “havre de paix” pour les randonneurs, qui empruntent ses sentiers balisés, où l’on peut encore croiser un chêne Cuif planté sous Louis XIV…

Nous sommes donc là à buller dans les vapeurs d’une coupe pétillante, achetée la veille dans une étape France Passion champenoise, las de chaleur, assis dans l’herbe, non loin du lac de l’Ailette où se trouvent les ruines d’une mystérieuse abbaye.

Figurant aux Monuments Historiques, l’abbaye cistercienne de Vauclair est un vestige du passé reliant les anciennes provinces de Picardie, Champagne et d’Ile-de-France. Fondée en 1134 par le saint Bernard, aidé de moines venus de Citeaux, elle ne résista pas à la Révolution française. Elle ferme puis est abandonnée, ce qui entraîna une partie de son démantèlement. Ici, donc, plus âmes qui vivent.

Nous nous pensions à l’abri et hors du monde ! Mais voilà qu’en une fraction de seconde, un souffle, une virgule, même pas le temps de le dire, alors pensez donc, encore moins de l’écrire, dans un vacarme ahurissant, un coup de tonnerre, une pluie de bruit qu’un acouphène ne saurait couvrir. Impossible à décrire. Ce vacarme avait tout d’un mirage. Mais c'était un Rafale. Cette machine infernale venait de frôler la cime des arbres. En défiant la canopée, l'engin de guerre m’avait éjecté de mon canapé végétal, interrompant ma sieste. Encore abasourdi, je distinguais à peine, là, dans la queue “sonore” du panache invisible, une inscription, un panneau de bois, auxquels je n’avais pas encore fait attention : "le Chemin des Dames".

Et voilà qu’au détour d’un sentier -que nous pensions contrarié par la Covid et ses si “pénibles obligations”-, un simple panneau donc, à la lisière d’une traverse, relativisait toute chose. Nous étions précisément là où, il y a plus d’un siècle, avant que de subir la grippe espagnole, l’Europe se déchirait dans l’immobilité suffocante des tranchées. Confinés, les poilus l’ont été pendant de très longs mois. Masqués aussi, craignant les gaz, mourant au combat, de peur, de froid.

Des hommes ont vécu ici, comme un écho de l’histoire, une situation autrement plus dramatique que la nôtre !

Nous prenons sur le champ (d’honneur) la distanciation (sociale) morale qui s’imposait. Munis de chaussures de marche et d’une ardeur nouvelle, nous parcourons les quelques kilomètres de chemins forestiers qui allaient nous conduire jusqu’à la Tour Observatoire qui domine le plateau de la Californie. D'une hauteur de 20 mètres, et librement accessible, elle présente une approche historique des paysages et rappelle l'importance des points élevés au temps de la grande guerre. Elle donne également aux visiteurs un point de vue incomparable sur le village de Craonne (détruit au cours du premier conflit mondial) en contrebas, le Chemin des Dames et la plaine de Champagne…

Au loin, l'avion de chasse qui nous avait sortis de notre torpeur s‘éloigne dans le ciel.

Quelques coquelicots, des bleuets et le soleil généreux illuminent les lieux. Dame nature fait chanter la vie. Elle recouvre les traces d’obus, efface toute chose et reprend partout ses droits. Peu à peu elle digère et semble pouvoir tout apaiser… Une brise légère monte des sous-bois… Il me semble entendre la chanson que les poilus ont écrite ici.

Extrait de la chanson de Craonne

« Huit jours de tranchées, huit jours de souffrance

Pourtant on a l'espérance

Que ce soir viendra la relève

Que nous attendons sans trêve

Soudain dans la nuit et dans le silence

On voit quelqu'un qui s'avance

C'est un officier de chasse à pied

Venu pour nous remplacer

Doucement dans l'ombre sous la pluie qui tombe

Les petits soldats vont chercher leur tombe

Refrain

Adieu la vie, adieu l'amour

Adieu toutes les femmes,

C'est bien fini et pour toujours

De cette guerre infâme

C'est à Craonne sur le plateau

Qu'on doit laisser sa peau

Car nous sommes tous condamnés

Nous sommes les sacrifiés »

Où stationner ?

A une heure du chemin des Dames, on vous suggère l'étape France Passion "la Ferme de Bel-Air" au sud d’Epernay.

  • N 48°52’56” / E 3°52’31”.
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